Mais où étions-nous ce soir-là ?

La pièce avait des parois de pluie et un toit de toile. Elle était entourée d’arbres, de buissons, d’herbes folles, dans un entre-deux proche de la ville mais boisé, sauvage, abandonné. Quelques lucioles curieuses surgissaient et disparaissaient dans le noir profond. Nous écoutions les mots de Stendhal, resserrés entre nous, un peu recroquevillés à cause du froid et du soir. C’était un temps et un lieu étranges. L’eau tombait drue ce soir-là et formait des rideaux qui nous séparaient du monde. 

Nous ne savions plus qui étaient tous ces personnages d’une autre époque. Dans la réalité ou l’imagination ils avaient vécu un jour, en Italie du nord, dans des villes aux noms évocateurs, Milan, Côme, Parme, prisonniers de l’ambition, du devoir ou de l’honneur, et ils avaient essayé d’aimer, si maladroitement parfois, si malheureusement souvent. 

Nous ne savions plus qui nous étions, nomades d’un jour, errants de la nuit, dressant de pauvres mots face à l’ambition de promoteurs d’aujourd’hui, nous accrochant à ces bois et à ces arbres qui étreignent et bercent la ville. Nous ne savions plus si c’était hier ou demain, dans ces instants volés au temps, dans ces instants d’intensité, de beauté et de poésie.

Nous étions ce soir-là au rendez-vous des mots et de l’amitié, de l’espoir et de la ferveur. Nous étions juste là.

Sans savoir. 

Abandonnés pour quelques instants à l’intimité de la nuit. 

Marie-Bernadette Mars. Juin 2022. Lecture de Stendhal, La Chartreuse de Parme, à la Chartreuse de Liège.